Portrait / Comédienne, scénariste, productrice et autrice: Prisca Marceleney… née pour le cinéma
Il y a des visages qui semblent nés pour la caméra. Celui de Prisca Marceleney en fait partie. Expressif, vibrant, traversé de silences qui parlent plus fort que les mots. Avant même qu’elle ne prononce une réplique, son regard dévoile tout : la curiosité, la fièvre, la douleur, la lumière. Il dit la vie, dans toute sa complexité.Comédienne, scénariste, productrice et désormais autrice, Prisca Marceleney incarne la nouvelle vague du cinéma ivoirien : sensible, audacieuse et profondément enracinée. De ses débuts au théâtre sous l’œil exigeant de Sidiki Bakaba à sa plume inspirée pour la série Dr Wlika, elle trace un parcours de femme entière, où chaque rôle devient un acte de vérité.Un amour inné du cinémaEnfant déjà, elle ne se contentait pas de jouer avec ses poupées : elle les dirigeait, les faisait vivre, respirer. Chez elle, la mise en scène n’était pas un jeu, mais un instinct.Née à Abidjan, Prisca Marceleney, de son vrai nom Marceleney Ida Prisca Baguiria, grandit dans un univers où la télévision tenait lieu de mythologie moderne. Les feuilletons Les Feux de l’Amour et Générations nourrissent son imaginaire. La petite fille s’imprègne de cette grammaire des émotions, de cette tension entre réel et fiction. Très tôt, elle comprend que le cinéma est un territoire à part, un espace de liberté où l’on peut vivre mille vies sans trahir la sienne.C’est sur les planches que tout commence, dans la rigueur du théâtre de Sidiki Bakaba, au sein de l’Actor’s Studio d’Abidjan. Là, elle apprend que l’art n’est pas un divertissement, mais une discipline, presque une ascèse. Elle découvre la puissance du corps, la respiration du texte, le poids du silence. Bakaba lui transmet une certitude : jouer, c’est servir.Diplômée de l’École nationale de théâtre et de danse de l’Insaac, elle affine son jeu, apprend à écouter la scène comme on écoute un souffle. Sa première apparition au cinéma dans Sida dans la cité (2003) tient du baptême. Elle découvre la caméra, cet œil intrusif qui ne pardonne rien, mais révèle tout.Ces premiers pas d’actrice dans la peau de CaramelEn 2006, Henri Duparc la choisit pour interpréter Caramel dans son film « Caramel » sorti en 2009. Sur le plateau, Marie-Louise Asseu, tutélaire et bienveillante, lui prédit un grand avenir. La prophétie s’accomplit.Prisca enchaîne les rôles, mais refuse la facilité des étiquettes. Dans Sans regret, elle transforme Tantie Choco, simple figure secondaire, en un personnage de mémoire. La tavernière gouailleuse devient, sous son interprétation, une femme de chair, de rires et de blessures. Prisca ne joue pas : elle révèle.Son approche est viscérale. Elle vit ses personnages comme des fragments d’humanité. Quand elle débarque sur le tournage de « Dr Wlika », crâne rasé, métamorphosée, c’est une révélation. Ce geste radical n’est pas esthétique : c’est une déclaration. Elle s’efface pour laisser place à l’autre, au rôle, à la vérité. Actrice scénariste et productriceMais l’actrice ne se contente pas d’incarner, elle écrit aussi. Scénariste et productrice, elle coécrit « La villa d’à côté » avec Fidèle Koffi, puis signe L’ »Amour en bonus ». Avec sa société Babi Pictures, elle revendique une indépendance farouche dans un écosystème audiovisuel encore fragile. Son cinéma, artisanal et libre, respire la sincérité d’une autrice qui refuse les compromis.Aux côtés de son époux Jacques Trabi, réalisateur du mythique Sans regret et de la série « Dr Wlika », elle forme un duo rare : un couple d’artistes qui se nourrit mutuellement. Ensemble, ils bâtissent une œuvre partagée, un dialogue permanent entre le masculin et le féminin, le réel et la fiction. Leur cinéma devient un laboratoire d’idées, un lieu d’exploration émotionnelle et spirituelle.Dans « Dr Wlika », le couple aborde un sujet audacieux : la médecine comme métaphore d’une Afrique en quête de réconciliation entre science moderne et savoirs ancestraux. Prisca, à la plume, tisse une narration d’une grande sensibilité, où les plaies du corps répondent à celles de l’âme. Son écriture, fine et charnelle, témoigne d’une conscience aiguë des tensions de son époque : tradition contre modernité, foi contre raison, identité contre assimilation. Et toujours, derrière les mots, une foi inébranlable en l’humain.« Wilka signifie trésor en Wè. C’est ce que représente pour moi l’héritage de la médecine traditionnelle. J’ai grandi entre deux mondes : celui des croyances et rituels transmis par les anciens, et celui de la médecine moderne, scientifique et rationnelle. Très tôt, j’ai été marquée par des expériences personnelles qui m’ont fait prendre conscience que, derrière le mystère, il existait une vraie efficacité dans certaines pratiques traditionnelles. Face à ce constat, deux questions se posent : Pourquoi ces deux approches (la médecine conventionnelle et la médecine traditionnelle) devraient-elles rester opposées ? Pourquoi ne pas imaginer un monde où elles se complètent, pour le bien des patients ? À travers « Dr Wilka », j’ai voulu donner vie à cette réflexion, en mêlant réalité et fiction, mystique et science, ambition et fragilité humaine. L’écriture a été nourrie par des rencontres, notamment avec un médecin et un tradipraticien. Mon objectif n’est pas de dire que l’une vaut plus que l’autre, mais d’ouvrir un espace de dialogue et de questionnement universel », motive-t-elle la production de sa nouvelle série qui sera diffusé dès le 13 novembre sur Canal+.La plume littéraire s’affûte allègrement En littérature, son roman Bob Guié, un homme bien (écrit avec Bob Guié) révèle une autre facette : celle d’une femme en quête de racines, d’un héritage paternel réinventé. Son écriture se veut simple, pudique, mais vibrante. Elle y mêle le personnel et le collectif, le souvenir et le témoignage.Aujourd’hui, Prisca Marceleney est bien plus qu’une actrice : elle est une conscience. Une artiste pour qui chaque projet devient un geste politique, chaque rôle une prière, chaque image une trace. Chez elle, l’art n’est pas une carrière, c’est un engagement. Prisca Marceleney ne cherche pas la lumière, elle la fabrique.Par la justesse de son regard, la densité de son jeu et la maturité de son écriture, elle impose un cinéma d’émotion et d’intelligence. Elle se positionne comme une actrice du cœur, une scénariste de l’âme, une productrice de conviction.Une femme qui, dans le tumulte d’un monde désenchanté, continue de croire que le cinéma peut encore réparer, un peu, ce que la vie brise. SERGES N’GUESSANT Exergue« J’’ai grandi entre deux mondes : celui des croyances et rituels transmis par les anciens, et celui de la médecine moderne, scientifique et rationnelle. Très tôt, j’ai été marquée par des expériences personnelles qui m’ont fait prendre conscience que, derrière le mystère, il existait une vraie efficacité dans certaines pratiques traditionnelles »».